Dans ce film de GaĂ«l Morel, Sandrine Bonnaire, actrice principale, incarne le rĂŽle dâĂdith, une femme ouvriĂšre. Lâusine pour laquelle elle travaille depuis toujours est dĂ©localisĂ©e au Maroc. Les choix qui sâoffrent Ă elle sont le chĂŽmage et la prise des indemnitĂ©s qui lui est associĂ©e ou le reclassement au Maroc.
Sans hĂ©sitation, Ădith opte pour le second choix. Veuve, elle laisse uniquement derriĂšre elle, son fils avec qui elle sâest brouillĂ©e avant son dĂ©part. Le travail est pour Ădith une valeur fondamentale qui donne sens Ă sa vie, lui assure fiertĂ© et lui permet dâavoir des liens sociaux plutĂŽt que de vivre la solitude.
Son arrivĂ©e Ă Tanger va la confronter Ă une toute autre rĂ©alitĂ© de celle vĂ©cue en France. Au Maroc, elle sera perçue comme lâĂ©trangĂšre. Elle fera face aux conditions de travail difficiles en usine oĂč lâautomatisation nâest pas encore trĂšs prĂ©sente. MalgrĂ© les liens quâelle nous avec Karima, une jeune couturiĂšre de lâusine, des Ă©vĂšnements vont lui faire comprendre quâil ne peut exister de solidaritĂ© entre les ouvriĂšres.
ParallĂšlement, elle va se lier dâamitiĂ© avec Mina, la propriĂ©taire de la pension oĂč elle loge, et son fils Ali. Ădith va donc dĂ©couvrir Tanger Ă lâaide de diffĂ©rentes femmes issues de milieux diffĂ©rents.
Table des matières
GaĂ«l Morel a voulu rendre hommage au milieu ouvrier dâoĂč il vient. Le choix plutĂŽt surprenant dâĂdith nâest pourtant pas loin de la rĂ©alitĂ©. Morel relate que durant la crise en Espagne, beaucoup de gens ont prĂ©fĂ©rĂ© partir pour un temps indĂ©terminĂ© au Maroc plutĂŽt que de rester sans emploi dans leur pays.
Le cinĂ©aste expose les conditions de travail Ă lâusine Ă Tanger. Celles-ci laissent Ă dĂ©sirer et choquent la protagoniste de lâhistoire. Dans ce monde peu protecteur de lâusine et du travail, les ouvriers prĂ©fĂšrent se taire.
Ădith finira par parler Ă la supĂ©rieure, ce qui met en pĂ©ril son propre emploi ainsi que celui de son amie Karima.
Cette situation nous mĂšne Ă se questionner Ă savoir pourquoi Ădith persiste et veut tant continuer Ă travailler.

Une forte présence des femmes
DĂšs son arrivĂ©e Ă Tanger, Ădith va se lier dâamitiĂ© et cĂŽtoyer plusieurs femmes issues de classes sociales diffĂ©rentes.
Mina, la propriĂ©taire de la pension a bravĂ© un tabou dans ce pays; elle a divorcĂ©. On sent bien que câest elle qui contrĂŽle son destin.
Karima, la jeune couturiĂšre de lâusine, porte en elle le discours de celle qui veut sâĂ©manciper. DĂ©jĂ , elle fait ses propres crĂ©ations une fois Ă la maison. Elle ne cesse de rĂ©pĂ©ter Ă Ădith quâelle veut quitter lâusine. Toutefois, elle reste lucide du fait que cet emploi lui permet de faire vivre sa fratrie. La rĂ©alitĂ© va rapidement la rattraper : suite aux plaintes faites par Ădith Ă propos de lâĂ©tat des machines, Karima va se faire pincer lors dâune fouille qui va la mener Ă ĂȘtre congĂ©diĂ©e.
Najat, la contremaĂźtre de lâusine, percevra toujours Ădith comme lâĂ©trangĂšre. Suite aux rĂ©vĂ©lations dâĂdith quant aux machines, Najat est prise par la peur. On apprend dans lâhistoire que son fiancĂ© parti travailler en France et nâest jamais revenu la chercher. Cette rancoeur se ressent Ă©videmment Ă lâĂ©gard dâĂdith, mais câest surtout une mĂ©taphore dâune sociĂ©tĂ© marocaine qui porte du ressentiment Ă lâĂ©gard de ceux qui ont quittĂ© le pays.
Et les hommes alors?
La place des hommes dans Prendre le large, principalement en tant que fils est importante. Cela tient probablement du fait que les deux femmes de lâhistoire nâont plus de maris dans leurs vies.
Mina, adore son fils et semble peu disposĂ©e Ă le laisser partir. Ă lâinverse, Ădith choisit de laisser aller son fils, JĂ©rĂ©mie, pour quâil puisse mener la vie quâil souhaite, en dĂ©pit sa souffrance de mĂšre.
Pour Mina, la relation est quasiment inversĂ©e. Elle qui sâest affranchie de son mari et qui possĂšde une pension, son fils lâaide Ă©normĂ©ment pour lâentretien et les tĂąches qui y ont associĂ©es. Câest maintenant Ă lui de rĂ©flĂ©chir Ă son propre avenir.
Ădith va rapidement se lier dâamitiĂ© avec Ali. Le spectateur comprend que câest le genre de relation quâelle avait avec son fils par le passĂ©. Une de leur discussions mĂšne Ă rĂ©flĂ©chir sur la relation parent-enfant. Autrement dit, comment il peut ĂȘtre difficile pour un parent de voir partir son enfant.
Verdict?

Sandrine Bonnaire est dans tous les plans du film, ainsi que son regard un tantinet accablĂ©. On peut la comprendre du fait des conditions auxquelles elle est confrontĂ©e, mais au final cela fait du bien lorsquâon la voit sourire Ă quelques reprises. Le film dresse ce portrait de personnage fort, tenace.
Les autres comĂ©diens tiennent bien leur rĂŽle et on y croit. Mouna Fettou qui tient le rĂŽle de Mina est dâailleurs trĂšs populaire au Maroc. Quant Ă Kamal El Amri, alias Ali, est trĂšs touchant dans son rĂŽle. Entre lâenfant et lâadulte en devenir, on espĂšre le revoir au grand Ă©cran.
La musique, composée par Camille Rocailleux, prend une place trÚs importante dans ces décors majestueux de la ville construite sur des collines et bordée par la mer Méditerranée.
Enfin, Ă dĂ©faut dâapporter des solutions politiques aux problĂšmes, le rĂ©alisateur tente dâen apporter aux personnages. Sans nous jeter par terre, Prendre le large mĂ©rite dâĂȘtre vu et permet certaines rĂ©flexions sur le travail et la relation parent-enfant. Un sentiment dâapaisement devrait immerger en vous suite au dĂ©nouement de lâhistoire.
Prendre le large est Ă l’affiche depuis le 9 fĂ©vrier.
Bon visionnement!